Maroc Digital 2030 : comment le Royaume prépare son avenir numérique

Sif Elarab Ayyoub
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 Maroc Digital 2030 : comment le Royaume prépare son avenir numérique

Depuis le début des années 2000, le Maroc construit progressivement sa transformation numérique. Après e-Maroc 2010, Maroc Numeric 2013 puis Maroc Numeric 2020, le Royaume a lancé en 2024 une nouvelle stratégie beaucoup plus ambitieuse : Digital Morocco 2030 (Maroc Digitale 2030).

Cette feuille de route ne se contente plus de parler “informatique” ou “e-gouvernement” : elle vise à faire du Maroc un hub digital régional, créateur d’emplois, d’innovation et de services publics modernes.

Maroc Digital 2030 : comment le Royaume prépare son avenir numérique

1. Un long chemin vers le numérique

Les premières stratégies (e-Maroc 2010, Maroc Numeric 2013, Maroc Numeric 2020) ont permis :

  • d’améliorer les infrastructures télécoms,
  • de démocratiser l’accès à Internet,
  • et de lancer la digitalisation de nombreux services publics.

Elles ont posé les bases de l’économie numérique, mais laissaient encore des trous : fracture numérique entre villes et campagnes, manque de talents, difficultés de financement pour les startups, procédures administratives encore lourdes, etc.

Digital Morocco 2030 arrive donc comme une nouvelle phase, plus structurée, avec des objectifs chiffrés et un pilotage politique fort.


2. Le lancement officiel de Digital Morocco 2030

La stratégie Digital Morocco 2030 a été officiellement lancée le 25 septembre 2024 à Rabat. La cérémonie a réuni :

  • le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch,
  • le Conseiller de SM le Roi André Azoulay,
  • plusieurs ministres,
  • ainsi que des représentants du secteur privé et de la société civile.

Des chiffres qui montrent l’ambition

  • Budget : 11 milliards de dirhams (environ 1 milliard de dollars) sur la période 2024-2026.
  • Emplois : création de 240 000 emplois directs dans les métiers du digital d’ici 2030.
  • Compétences : formation de 100 000 jeunes par an aux métiers numériques (contre environ 14 000 en 2022).

Le gouvernement insiste aussi sur le caractère participatif de la stratégie : administrations, fédérations professionnelles, universités, startups, grandes entreprises et associations ont été consultées.


3. Une vision claire : faire du Maroc un hub digital africain

Avec Digital Morocco 2030, le Royaume vise plusieurs grands objectifs :

  • Devenir un hub numérique majeur en Afrique pour les services, les données et l’innovation.
  • Booster l’économie numérique : export de services, offshoring, startups, R&D…
  • Moderniser l’État : simplifier les procédures, digitaliser les services, améliorer la transparence.
  • Améliorer le classement du Maroc dans les indices internationaux, notamment l’E-Government Development Index (EGDI) où le pays veut passer de la 113ᵉ place à un Top 50 mondial.

En résumé, le numérique n’est plus un “complément” : c’est un levier central du développement économique et social.


4. Deux grands axes stratégiques

La stratégie s’articule autour de deux axes principaux :

4.1. Accélérer l’économie numérique

L’objectif est de créer un écosystème digital dynamique capable de :

  • faire émerger 3 000 startups d’ici 2030,
  • attirer des investisseurs nationaux et internationaux,
  • développer des champions technologiques marocains (dont 1 à 2 “unicorns”),
  • augmenter les exportations de services digitaux de 17,9 milliards de MAD (2023) à 40 milliards de MAD en 2030.

Le Maroc mise sur :

  • l’outsourcing et le offshoring (centres de services, BPO, IT, etc.),
  • la digitalisation des entreprises, notamment les PME,
  • les technologies émergentes : intelligence artificielle, cloud, connectivité avancée, cybersécurité…

Des mécanismes de soutien sont prévus : parcs nearshore, subventions pour l’adoption de solutions numériques, dispositifs fiscaux et simplification de l’accès à la commande publique.

4.2. Digitaliser les services publics (e-gouvernement)

L’autre axe fondamental est la transformation numérique de l’administration :

  • Création d’un portail administratif unifié, une “porte d’entrée unique” vers tous les services en ligne.
  • Simplification des procédures, réduction des déplacements et des délais (objectif : -50 % de délais, -40 % de démarches).
  • Amélioration de la satisfaction des usagers (objectif : plus de 80 % de satisfaction).
  • Digitalisation massive : plus de 600 services publics sont déjà en ligne, avec une extension continue.

La stratégie met aussi l’accent sur :

  • l’inclusion numérique (rural, zones enclavées, personnes en situation de handicap),
  • la transparence et la lutte contre la corruption grâce à la traçabilité digitale,
  • la protection des données personnelles et la sécurité des systèmes.


5. Trois catalyseurs : talents, cloud, IA

Pour réussir, Digital Morocco 2030 s’appuie sur trois leviers transverses :

  1. Les talents numériques
  2. Le cloud souverain et les infrastructures
  3. L’intelligence artificielle (IA)

5.1. Les talents : au cœur de la stratégie

Le Maroc parie clairement sur son capital humain. La Digital Talents Initiative prévoit :

  1. 100 000 talents numériques formés chaque année d’ici 2030,
  2. dont 50 000 personnes requalifiées (reskilling) chaque année vers les métiers du digital,
  3. et l’attraction de 6 000 talents étrangers par an.

Pour y parvenir :

  • Les universités devront tripler le nombre de diplômés du numérique d’ici 2027.
  • Les établissements de formation professionnelle sont mobilisés pour former plus de 100 000 cadres et accorder des bourses doctorales dans le digital et l’IA.
  • Une nouvelle École supérieure d’ingénieurs en transition digitale et intelligence artificielle est en cours de création pour aligner la formation sur les besoins du marché.

5.2. Cloud et souveraineté numérique

Digital Morocco 2030 prévoit la mise en place d’un cloud national hybride :

  • Un cloud souverain, opéré par des acteurs marocains, pour les données sensibles de l’État.
  • Des régions cloud de fournisseurs internationaux (Oracle, Microsoft, AWS, etc.) pour servir les entreprises locales et les marchés régionaux.

Une architecture de référence nationale pour le cloud doit être déployée à partir de 2026, garantissant :

  • l’interopérabilité,
  • la sécurité,
  • la performance,
  • et le respect de la souveraineté des données.

Des investissements massifs sont prévus dans les data centers : projets de centres hyperscale (ex. Tanger), hubs R&D à Casablanca, et data centers régionaux pour soutenir la demande africaine.

5.3. L’intelligence artificielle : priorité stratégique

L’IA n’est plus un buzzword, c’est un axe stratégique :

  • Une feuille de route nationale pour l’IA est en cours de finalisation (gouvernance des données, éthique, secteurs prioritaires).
  • Création d’un Réseau d’instituts JAZARI, centres d’excellence dédiés à l’IA :

    le centre national JAZARI Root à Rabat (ouverture prévue en 2026),
  • des instituts thématiques en régions (par exemple, IA & transition énergétique à Dakhla).
    • Mise en place d’une Direction générale de l’intelligence artificielle pour coordonner les politiques publiques et les partenariats.
    • L’IA est déjà intégrée dans certains cas d’usage :
  • digitalisation intelligente des documents (actes d’état civil, etc.),
  • solutions AI dans la santé, l’agriculture, les services financiers, la gestion de l’énergie, etc.

6. Infrastructures et connectivité : la colonne vertébrale

Sans réseau, pas de numérique. Le Maroc prévoit donc des objectifs très concrets :

  • 70 % de couverture 5G d’ici 2030,
  • 5,6 millions de foyers connectés à la fibre optique,
  • 1 800 communes rurales reliées à Internet d’ici 2026 (Plan National Haut et Très Haut Débit 2),
  • 6 300 établissements publics raccordés au très haut débit dans les deux prochaines années.

En parallèle, le Royaume veut consolider sa position comme plateforme de data centers pour l’Afrique, avec :

  • des projets de centres hyperscale,
  • des hubs de R&D,
  • et une énergie verte et compétitive comme argument pour attirer les hyperscalers internationaux.


7. Startups et PME : au cœur de l’écosystème

Digital Morocco 2030 ne concerne pas uniquement l’État ou les grands groupes. Les startups et PME sont au centre du dispositif :

  • Objectif de tripler le nombre de startups pour atteindre 3 000 en 2030.
  • Mobilisation de 7 milliards de MAD de financement pour les startups.
  • Renforcement et internationalisation des incubateurs et accélérateurs nationaux.
  • Programmes de subvention pour la digitalisation des PME (diagnostics de maturité numérique, aides pour l’adoption de solutions locales, accompagnement à l’export).

Des partenariats, comme celui entre le Ministère de la Transition Numérique, le CDG et TAMWILCOM, visent à :

  • sélectionner des opérateurs (incubateurs/accélérateurs),
  • financer l’accompagnement sur le long terme,
  • faciliter l’accès aux financements alternatifs (business angels, crowdfunding, fonds publics-privés).


8. Gouvernance, lois et défis

La mise en œuvre est pilotée principalement par :

  • le Ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration,
  • l’Agence de Développement du Digital (ADD),
  • en coordination avec d’autres ministères, autorités et régulateurs.
  • Un cadre légal existe déjà ou est en cours d’adaptation :
  • Charte des services publics (Loi 54-19),
  • Simplification des procédures administratives (Loi 55-19),
  • Lois sur l’échange de données électroniques, l’interopérabilité,
  • Protection des données personnelles (Loi 09-08),
  • Droit d’accès à l’information (Loi 31-13).

Mais des défis persistent

  • Complexité réglementaire et coordination entre institutions,
  • Pénurie de profils dans la cybersécurité, la data science, le développement logiciel,
  • Fracture numérique entre zones urbaines et rurales,
  • Difficultés de financement pour les startups les plus risquées.


9. Et maintenant ?

Digital Morocco 2030 est une stratégie ambitieuse, chiffrée et structurée.
Si le Maroc parvient à :

  • former 100 000 talents numériques par an,
  • créer 240 000 emplois digitaux,
  • atteindre 70 % de couverture 5G,
  • soutenir 3 000 startups et développer de grands projets data & cloud,

alors le Royaume peut réellement devenir l’une des principales puissances numériques d’Afrique d’ici la fin de la décennie.

Tout se jouera dans l’exécution :

  • la vitesse de déploiement des infrastructures,
  • la qualité des formations,
  • la capacité à inclure les territoires ruraux,
  • et la simplification réelle du cadre réglementaire pour les entreprises innovantes.


Conclusion

Maroc Digitale 2030 n’est pas seulement un plan technologique. C’est un projet de société où le numérique devient un outil pour :

  • créer des opportunités pour la jeunesse,
  • moderniser l’administration,
  • attirer les investissements,
  • et positionner le Royaume comme un acteur qui compte dans l’économie digitale mondiale.

Pour les entrepreneurs, les étudiants, les ingénieurs, les investisseurs ou les fonctionnaires, le message est clair :

le futur du Maroc sera numérique… et il a déjà commencé.

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