La réforme budgétaire marocaine comme passage d’une logique de moyens à une logique de résultats

Sif Elarab Ayyoub
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 Introduction : la réforme budgétaire marocaine comme passage d’une logique de moyens à une logique de résultats

Introduction : la réforme budgétaire marocaine comme passage d’une logique de moyens à une logique de résultats

L’adoption de la loi organique n°130-13 relative à la loi de finances (LOF) marque un tournant majeur dans la gestion des finances publiques au Maroc. Entrée progressivement en vigueur entre 2016 et 2019, cette loi rompt avec la budgétisation classique centrée sur les moyens pour instaurer une budgétisation axée sur les résultats. Désormais, la dépense publique n’est plus seulement appréhendée comme une consommation de crédits, mais comme un investissement devant produire des effets mesurables sur les politiques publiques.

Cette transformation repose sur trois piliers complémentaires :

  1. la programmation budgétaire triennale, qui inscrit le budget de l’État dans un cadre pluriannuel ;
  2. la présentation du budget par programmes, assortis d’objectifs et d’indicateurs de performance ;
  3. la généralisation des projets annuels de performance (PAP) et des rapports annuels de performance (RAP), qui organisent la reddition de comptes devant le Parlement et, plus largement, devant le citoyen.

L’article qui suit vise à analyser ces dispositifs, leurs objectifs et leurs enjeux, ainsi que leur prolongement dans le domaine des marchés publics.


1. La programmation budgétaire triennale comme cadre pluriannuel de référence pour la loi de finances annuelle

L’article 5 de la LOF dispose que la loi de finances de l’année est préparée par référence à une programmation budgétaire triennale actualisée chaque année. Il ne s’agit donc plus de concevoir le budget dans un horizon strictement annuel, mais de l’inscrire dans une trajectoire de trois ans, révisée de manière glissante : chaque nouveau cycle supprime la troisième année précédente et ajoute une année supplémentaire.

Ce cadre triennal permet de fixer l’évolution prévisionnelle des recettes, des dépenses, du déficit et de la dette de l’État. Il vise d’une part à assurer la soutenabilité des finances publiques, en maîtrisant la dynamique de l’endettement et des engagements futurs, et d’autre part à donner une visibilité accrue aux acteurs publics et aux partenaires économiques.

La programmation budgétaire triennale est transmise au Parlement, généralement avant la fin juillet, accompagnée des hypothèses macro-économiques. Elle sert ainsi de support au dialogue budgétaire et permet aux commissions parlementaires d’apprécier non seulement le niveau des crédits demandés, mais aussi la cohérence de la trajectoire pluriannuelle avec les objectifs de politique économique et sociale.

En ce sens, la programmation triennale n’est pas un simple exercice technique de projection ; elle constitue un instrument de gouvernance qui articule stratégie de moyen terme, discipline budgétaire et transparence démocratique.


2. Les objectifs de la programmation budgétaire triennale comme outil de soutenabilité, de transparence et de performance

La programmation budgétaire triennale poursuit un ensemble d’objectifs complémentaires qui dépassent la seule dimension comptable.

En premier lieu, elle vise à assurer la soutenabilité des finances publiques. La définition d’une trajectoire sur trois ans permet de fixer des cibles explicites en matière de déficit et de dette, de planifier les besoins de financement et de prévenir les ajustements brutaux. La cohérence entre les politiques sectorielles et les contraintes de financement devient un enjeu central : chaque nouvelle mesure doit être évaluée à l’aune de son impact sur la trajectoire pluriannuelle.

En second lieu, la programmation triennale contribue à renforcer la transparence budgétaire et le rôle du Parlement. En disposant d’un document de cadrage à moyen terme, les parlementaires ne se limitent plus à l’examen des crédits d’une seule année, mais peuvent apprécier la continuité ou, au contraire, la rupture des choix budgétaires. Cela permet un contrôle plus fin de la stratégie de l’exécutif et, potentiellement, une meilleure appropriation des enjeux budgétaires par la société civile.

Enfin, la programmation triennale est conçue comme un support de la démarche de performance. Les enveloppes pluriannuelles sont construites non comme des reconductions mécaniques de crédits, mais comme la traduction financière d’objectifs de résultats assignés aux programmes. Le budget devient un outil de pilotage : il s’agit de relier explicitement les moyens mobilisés et les résultats attendus, puis de vérifier, a posteriori, la pertinence de cette relation.


3. La présentation du budget par programmes comme mécanisme de responsabilisation des gestionnaires publics

La LOF consacre la présentation du budget par programmes budgétaires, qui deviennent l’unité de base de la gestion axée sur les résultats. Un programme correspond à un ensemble cohérent d’actions concourant à une même politique publique et disposant d’une enveloppe de crédits globalisée.

Cette architecture comporte deux dimensions indissociables :

  • une dimension budgétaire, puisque le programme regroupe des crédits auparavant éclatés entre divers chapitres et articles, offrant ainsi une meilleure lisibilité des coûts d’une politique ;
  • une dimension managériale, dans la mesure où chaque programme est placé sous la responsabilité d’un responsable de programme, chargé d’atteindre les objectifs fixés et de rendre compte des résultats obtenus.

Le guide de construction des programmes budgétaires, élaboré par le ministère des Finances, précise que les programmes doivent être stratégiques, en nombre limité et suffisamment stables pour permettre un suivi dans le temps. Il distingue généralement les programmes de politique publique (liés directement aux services rendus aux citoyens) et les programmes de soutien (fonctions transversales telles que ressources humaines, systèmes d’information, logistique, etc.).

L’enjeu principal est la responsabilisation des gestionnaires : ces derniers disposent d’une certaine flexibilité dans l’allocation interne des ressources, mais cette autonomie est contrebalancée par une obligation accrue de résultats, appréciés au regard d’indicateurs préalablement définis.


4. Le projet annuel de performance et le rapport annuel de performance comme instruments formalisés de reddition de comptes

La démarche de performance instaurée par la LOF repose sur un cycle annuel structuré par deux documents complémentaires : le Projet Annuel de Performance (PAP) et le Rapport Annuel de Performance (RAP).

Le PAP, annexé au projet de loi de finances, présente pour chaque ministère :

  • la stratégie générale et les priorités retenues ;
  • la liste des programmes et actions qui en découlent ;
  • les objectifs de performance assignés à ces programmes ;
  • les indicateurs retenus pour mesurer la réalisation de ces objectifs.

Ce document joue le rôle de contrat d’objectifs entre le ministère, le gouvernement et le Parlement. Il explicite les résultats attendus en contrepartie des crédits sollicités.

Le RAP, quant à lui, accompagne le projet de loi de règlement et présente, pour l’exercice écoulé, une comparaison entre les objectifs initialement fixés et les résultats effectivement obtenus. Il doit commenter les écarts, en analyser les causes et, le cas échéant, proposer des ajustements. Le RAP constitue ainsi un instrument central de reddition de comptes : il permet au Parlement d’apprécier non seulement la conformité de l’exécution budgétaire, mais aussi l’efficacité des politiques publiques.

Les analyses du Conseil économique, social et environnemental montrent toutefois que la mise en œuvre de ces outils se heurte à plusieurs difficultés : définition d’objectifs trop nombreux ou peu pertinents, indicateurs parfois insuffisamment fiables, tendance de certains ministères à décrire leurs activités plutôt qu’à mettre en avant les résultats attendus. L’enjeu, à ce stade, est de consolider une véritable culture de l’évaluation, en renforçant la qualité des indicateurs et des analyses produites.


5. L’extension de la logique de performance aux marchés publics par la création d’un observatoire des commandes publiques

La réforme budgétaire ne se limite pas à la structuration interne du budget ; elle s’étend également au champ des marchés publics, qui représentent une part considérable de la dépense de l’État. La création d’un Observatoire des commandes publiques s’inscrit dans cette dynamique.

Cet observatoire a pour mission de collecter et d’analyser les données relatives aux marchés publics, de définir des indicateurs de performance (coût, délai, qualité, degré de concurrence, recours au digital, etc.) et de publier régulièrement des rapports. L’objectif est double : renforcer la transparence des procédures d’achat public et améliorer l’efficience de la dépense en identifiant les pratiques les plus vertueuses et les sources de dysfonctionnement.

L’existence d’un tel dispositif complète la démarche de performance budgétaire : alors que le PAP et le RAP se concentrent sur l’atteinte des objectifs de politique publique, l’observatoire permet d’apprécier plus finement la façon dont les ressources sont mobilisées dans le cadre des procédures de commande publique. La performance n’est plus seulement mesurée en termes de résultats finaux, mais aussi en termes de qualité de la gestion.


Conclusion : une réforme structurante dont la réussite dépend de l’ancrage durable de la culture du résultat

La mise en place de la programmation budgétaire triennale, de la présentation du budget par programmes et des documents de performance (PAP et RAP), complétée par la modernisation des marchés publics, constitue une réforme structurante du système financier public marocain. Elle traduit la volonté de l’État de concilier discipline budgétaire, transparence et efficacité de l’action publique.

Pour autant, le cadre normatif, aussi élaboré soit-il, ne suffit pas à lui seul. La réussite de cette réforme dépend de plusieurs conditions : appropriation de la démarche par les gestionnaires, développement d’outils d’information fiables, renforcement des compétences en planification et en évaluation, et implication accrue du Parlement et de la société civile dans le suivi des résultats.

En dernier ressort, la LOF et la programmation budgétaire triennale ne sont que des instruments. Leur véritable portée dépendra de la capacité de l’administration et des décideurs à faire vivre, au quotidien, une culture du résultat et de la reddition de comptes, condition indispensable pour que la dépense publique se traduise effectivement par une amélioration tangible des services rendus aux citoyens.

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