Gestion axée sur les résultats (GAR) dans les finances publiques marocaines : définition, instruments, évolution et comparaison (France–Canada)

Sif Elarab Ayyoub
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Gestion axée sur les résultats (GAR) dans les finances publiques marocaines : définition, instruments, évolution et comparaison (France–Canada)

Gestion axée sur les résultats (GAR) dans les finances publiques marocaines : définition, instruments, évolution et comparaison (France–Canada)

Introduction : de la logique des moyens à la logique des résultats

Les réformes des finances publiques visent de plus en plus à répondre à une question simple mais décisive : que produit réellement l’action publique avec les ressources mobilisées ? Autrement dit, il ne s’agit plus seulement d’autoriser une dépense, de vérifier une procédure ou de respecter une norme comptable, mais de démontrer la valeur publique créée (qualité des services, impacts sociaux, efficacité des politiques).

Dans ce cadre, la Gestion axée sur les résultats (GAR) s’est imposée dans de nombreuses administrations comme une approche structurante. Elle est associée à la performance, à la transparence, au pilotage par objectifs, à l’évaluation et à la reddition de comptes. Elle est aussi fortement liée à la budgétisation par programmes, qui permet d’aligner les allocations budgétaires sur des priorités stratégiques et des résultats attendus.

Au Maroc, cette dynamique s’est construite progressivement au cours des années 2000, puis a été consolidée par la Loi organique n°130-13 relative à la loi de finances (souvent appelée LOF 2015), considérée comme une étape majeure de modernisation budgétaire et managériale. Rachid (PDF) – La GAR au Maroc : où en est-on ?

1) Définition générale de la GAR et références internationales

1.1 Une approche de management fondée sur des résultats mesurables

La GAR peut être définie comme une approche de management public qui vise à planifier, exécuter, suivre et évaluer des programmes en se focalisant sur des résultats (effets et impacts) plutôt que sur les seuls moyens consommés. Elle repose généralement sur :

  • la formulation d’objectifs explicites ;
  • la définition d’indicateurs pertinents et mesurables ;
  • la production de données de suivi ;
  • l’analyse des écarts entre prévisions et réalisations ;
  • la prise de décision fondée sur l’évidence (evidence-based) ;
  • la reddition de comptes (accountability) et la transparence.

Sur le plan international, plusieurs définitions convergent. Le PNUD présente la GAR comme une stratégie ou méthode de gestion destinée à s’assurer que procédures, produits et services contribuent à des résultats clairement définis. EVAL – Synthèse des définitions institutionnelles (PNUD, OCDE-CAD, etc.)

De son côté, la Déclaration de Paris (2005) sur l’efficacité de l’aide met l’accent sur la gestion centrée sur les résultats souhaités et l’utilisation des données disponibles pour améliorer les décisions et la conduite des programmes. EVAL – Référence Déclaration de Paris (2005)

1.2 La dimension “apprentissage” : un pilier souvent sous-estimé

Un aspect essentiel de la GAR est qu’elle ne se réduit pas à “mesurer”. Elle implique aussi un apprentissage organisationnel : lorsque les résultats sont inférieurs aux attentes, l’objectif n’est pas seulement de “constater”, mais de comprendre (hypothèses erronées, chaîne causale incomplète, contraintes de terrain, effets de contexte), puis adapter les instruments, la conception et la mise en œuvre. Ce principe est particulièrement présent dans les pratiques internationales de gestion de projets et de programmes.

Une ressource souvent mobilisée dans ce domaine (notamment dans la coopération internationale) est le fascicule méthodologique qui insiste sur la planification, la mobilisation des parties prenantes, le suivi régulier, l’analyse des risques et l’intégration des leçons apprises. Focus International – Fascicule GAR (PDF)


2) La GAR au Canada : une définition opérationnelle et un modèle outillé

2.1 Une GAR définie comme “système” couvrant le cycle de vie

Le Canada propose une définition très opérationnelle : la GAR est un système de gestion appliqué à tout le cycle de vie d’un programme/projet, intégrant stratégies, ressources humaines et financières, processus, outils de mesure, transparence et reddition de comptes. Affaires mondiales Canada – Page officielle GAR

Ce système met explicitement l’accent sur :

2.2 La chaîne de résultats : intrants, extrants et résultats

Au Canada, la GAR s’appuie fortement sur des outils de logique d’intervention. Le modèle de base est la chaîne de résultats qui relie :
intrants → activités → extrants → résultats immédiats → résultats intermédiaires → résultats ultimes.

Cette approche permet de distinguer clairement ce que l’organisation contrôle (intrants, activités, extrants) de ce qu’elle influence plus partiellement (résultats intermédiaires et ultimes), ce qui est crucial pour éviter des évaluations injustes ou des promesses irréalistes.

Un document de référence détaillant définitions, exemples et logique de la chaîne est la fiche-conseil d’Affaires mondiales Canada. AMC – Fiche-conseil 2.1 : chaîne de résultats & définitions

2.3 Le cas du Québec : GAR et orientation “citoyen”

Dans la province de Québec, la GAR est souvent associée à une modernisation de la gestion publique orientée vers la satisfaction des citoyens, l’amélioration des services, la transparence et la responsabilisation. Le guide du Secrétariat du Conseil du trésor met l’accent sur des objectifs clairs, la communication des résultats attendus et la reddition de comptes sur les progrès. Québec – Guide sur la gestion axée sur les résultats (PDF)


3) Moyens et outils de mise en œuvre : comment la GAR fonctionne concrètement ?

3.1 Outil 1 : chaîne de résultats et modèle logique

La chaîne de résultats n’est pas qu’un schéma : c’est un outil de conception. Elle permet de :

  • clarifier le problème public ciblé ;
  • expliciter la théorie du changement (comment une activité produit un effet) ;
  • identifier où mesurer (extrants, résultats immédiats, etc.) ;
  • éviter la confusion entre “ce que l’État fait” et “ce que cela change réellement”.

Dans les bonnes pratiques, chaque niveau peut être associé à des indicateurs, des sources de données, des cibles et un calendrier de mesure. AMC – Fiche-conseil 2.1 : définitions & exemples

3.2 Outil 2 : indicateurs de performance et cibles

Les indicateurs sont le cœur technique de la GAR. Ils doivent être :

  • pertinents (liés aux objectifs),
  • mesurables (données accessibles),
  • interprétables (sens clair),
  • comparables (dans le temps),
  • et utiles pour décider.

Le risque majeur est la “bureaucratisation” : produire des indicateurs pour “remplir des tableaux” sans usage réel. Les cadres internationaux insistent au contraire sur l’utilisation des indicateurs pour ajuster les programmes et orienter l’allocation des ressources. Focus International – Fascicule méthodologique GAR (PDF)

3.3 Outil 3 : budgétisation par programmes et cadre pluriannuel

Dans les finances publiques, la GAR devient pleinement opérationnelle quand elle est reliée au budget. Le principe est de passer d’un budget “par nature” (chapitres, articles) à un budget “par programmes”, où chaque programme correspond à une finalité publique, avec objectifs et indicateurs.

  • En France, la LOLF impose des documents de performance : le Projet annuel de performance (PAP) fixe objectifs et indicateurs ; le Rapport annuel de performance (RAP) présente les résultats et leur analyse. Vie-publique – LOLF, PAP et RAP
  • Le Canada utilise aussi des modèles logiques et cadres de mesure pour piloter sur plusieurs années, et intégrer la gestion des risques dans la conduite des programmes. Affaires mondiales Canada – Outils et gabarits GAR

3.4 Outil 4 : autonomie managériale et reddition de comptes

La GAR est souvent associée à un principe : donner plus d’autonomie aux gestionnaires (souplesse de gestion) tout en renforçant la reddition de comptes et les contrôles ex post (audit, évaluation, rapports).

En France, les responsables de programme disposent de marges de gestion, mais doivent rendre compte des résultats ; le Parlement et la Cour des comptes jouent un rôle de contrôle et d’évaluation. Vie-publique – responsabilité et performance

Au Maroc, la réforme s’inscrit aussi dans une logique où les contrôles préalables peuvent être rationalisés, tandis que les contrôles a posteriori sont renforcés pour garantir l’efficacité et la responsabilité. CORE – Nouvelle gestion publique au Maroc (PDF)

3.5 Outil 5 : participation des parties prenantes et apprentissage

La GAR n’est pas uniquement technocratique : elle suppose une mobilisation des parties prenantes (administration, bénéficiaires, décideurs, partenaires), notamment pour :

  • formuler des objectifs réalistes,
  • définir des indicateurs acceptés,
  • gérer les risques,
  • produire des apprentissages utiles.

Les guides méthodologiques insistent sur l’importance de cette participation pour renforcer la pertinence et la crédibilité du pilotage par résultats. Focus International – Fascicule GAR (PDF)


4) Évolution de la GAR dans les finances publiques marocaines

4.1 Genèse (années 2000) : premières impulsions

Sous l’influence de la modernisation administrative, le Maroc amorce un passage progressif de la logique des moyens à celle des résultats. Une étape fréquemment citée est la circulaire du Premier ministre n°12/2001, qui évoque la globalisation des crédits et une logique de budgétisation orientée résultats, notamment en lien avec la déconcentration. Rachid (PDF) – éléments 2001 et globalisation

Des ajustements réglementaires accompagnent ensuite cette trajectoire : adaptation des règles d’exécution budgétaire et montée en puissance de cadres de dépenses à moyen terme. Rachid (PDF) – séquence réglementaire et CDMT

4.2 Montée en puissance (années 2010) : expérimentation et généralisation

À partir du milieu des années 2010, des ministères pilotes expérimentent la budgétisation par programmes et les instruments de performance. Cette étape suppose :

  • formation des cadres,
  • construction d’indicateurs,
  • systèmes d’information,
  • apprentissage de la logique de reporting.

Elle révèle aussi des limites classiques : faiblesse des données, indicateurs parfois peu pertinents, culture de l’évaluation inégale entre administrations. Centre démocratique arabe – Réforme des finances publiques au Maroc

4.3 Consolidation (LOF 2015) : cadre légal et dispositifs de performance

La LOF 2015 consacre le tournant vers la budgétisation par programmes et la logique de performance. Elle s’accompagne, dans les discours institutionnels, d’exigences de transparence, de performance et d’approches transversales comme la budgétisation sensible au genre. ONU Femmes Maroc – Présentation LOF 2015


5) Comparaison Maroc – France – Canada : convergences, différences, leçons

5.1 Convergences

Les trois pays partagent un objectif commun : améliorer l’efficience et la transparence en reliant budget et résultats, via objectifs, indicateurs et reporting.

5.2 Différences structurantes

  • Maturité : la GAR canadienne est plus ancienne et très outillée ; la France a institutionnalisé la performance budgétaire via la LOLF ; le Maroc est dans une phase de consolidation et d’appropriation.
  • Structure budgétaire : France (missions/programmes/actions), Canada (modèles logiques et cadres de mesure), Maroc (transition vers budgets-programmes et performance).
  • Culture de l’évaluation : elle est particulièrement structurée au Canada ; plus hétérogène ailleurs, souvent freinée par la disponibilité des données et la capacité d’analyse.

Conclusion

La Gestion axée sur les résultats constitue une transformation majeure des finances publiques : elle relie la planification, le budget, le suivi, l’évaluation et la reddition de comptes autour d’une question centrale : quels résultats pour quels bénéficiaires, et à quel coût ? Au Maroc, la trajectoire engagée depuis les années 2000 et consolidée par la LOF 2015 marque une évolution importante. Toutefois, la réussite de la GAR dépend moins du cadre légal que de la qualité des indicateurs, de la production de données fiables, de la culture de l’évaluation et de l’usage effectif des résultats pour améliorer les politiques publiques.

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