Hamas : origines, idéologie, gouvernance à Gaza et dynamique du conflit

Sif Elarab Ayyoub
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 Hamas : origines, idéologie, gouvernance à Gaza et dynamique du conflit

Hamas : origines, idéologie, gouvernance à Gaza et dynamique du conflit

Introduction

Le Hamas — acronyme arabe de « Mouvement de la résistance islamique » — est l’un des acteurs les plus déterminants de la politique palestinienne et de l’équation sécuritaire au Moyen-Orient. À la fois mouvement politique, organisation sociale et acteur militaire, il occupe une place singulière : il revendique une légitimité populaire et nationale, tout en étant au cœur de controverses majeures, notamment sur sa stratégie de confrontation armée et sur sa manière de gouverner la bande de Gaza.

Pour comprendre le Hamas, il faut dépasser une lecture simpliste. Son histoire est indissociable de la trajectoire palestinienne depuis la fin du XXe siècle : l’occupation, les cycles d’insurrection, l’échec de processus politiques, les divisions internes palestiniennes, et les reconfigurations régionales. Le Hamas n’est pas uniquement un groupe armé, ni seulement un parti politique : c’est une organisation composite, qui se déploie sur plusieurs terrains à la fois.


1) Origines et naissance : un mouvement ancré dans le social

Les racines du Hamas se situent dans un environnement religieux, éducatif et caritatif qui s’est structuré au fil des décennies dans les territoires palestiniens. Avant de devenir un acteur politique national, le mouvement s’est appuyé sur des réseaux de solidarité : associations, œuvres sociales, soutien aux familles, activités de jeunesse, encadrement religieux et initiatives de proximité.

Ces structures sociales ont joué un rôle essentiel dans son implantation : elles ont permis d’établir un lien durable avec une partie de la population, notamment dans les quartiers populaires et les zones où les institutions publiques étaient fragiles. Cela explique en partie la capacité du Hamas à mobiliser, à recruter et à construire une base militante, mais aussi à se présenter comme une force « proche des gens », au-delà du champ strictement militaire.

C’est à la fin des années 1980, dans un contexte d’explosion de colère collective et de mobilisation populaire, que le Hamas apparaît comme une nouvelle expression organisée de la résistance. Son émergence s’inscrit dans une période où la société palestinienne se politise massivement et où de nouveaux acteurs s’affirment face aux partis traditionnels.


2) Une idéologie entre référence religieuse et nationalisme

L’idéologie du Hamas s’est construite sur une articulation entre deux dimensions :

  • Une dimension nationale, centrée sur la cause palestinienne, la fin de l’occupation et la revendication de droits collectifs (territoire, souveraineté, statut des réfugiés, Jérusalem, etc.).

  • Une dimension religieuse, qui confère au combat une signification morale et identitaire, et qui influence la vision du mouvement sur la société, la politique et la légitimité de la résistance.

Au fil du temps, le discours du Hamas a évolué. On observe une tension permanente entre la fidélité aux principes fondateurs (résistance, refus de la normalisation, rejet de certains compromis) et la nécessité de s’adapter à des réalités politiques : pression internationale, gouvernance d’un territoire, négociations indirectes, gestion de crises humanitaires.

Cette évolution ne signifie pas forcément une rupture radicale, mais plutôt une capacité à moduler le langage et la stratégie selon les contextes : ce que le Hamas dit à son public local peut différer de la manière dont il se présente dans des cadres diplomatiques, médiatiques ou régionaux.


3) Structure et fonctionnement : politique, social et militaire

Le Hamas n’est pas une organisation monolithique. Il fonctionne généralement autour de plusieurs pôles :

a) Une direction politique

Elle formule les grandes orientations, gère les alliances, supervise les négociations (directes ou indirectes) et établit les priorités du mouvement. Cette direction peut être répartie entre l’intérieur (Gaza, Cisjordanie) et l’extérieur (diaspora, exil politique), ce qui ajoute des enjeux de coordination et parfois des divergences tactiques.

b) Un appareil social et institutionnel

À Gaza, le Hamas a développé un dispositif administratif et sécuritaire lié à la gestion quotidienne : services, police, encadrement, bureaucratie. Même si la qualité et l’efficacité de ces services sont souvent au centre de débats, cette dimension fait du Hamas un acteur de gouvernement, pas seulement d’opposition.

c) Une aile armée

Le Hamas dispose d’une branche militaire qui constitue un élément clé de sa puissance et de sa stratégie. Cette aile armée s’inscrit dans une logique de confrontation asymétrique : elle ne possède pas les capacités d’un État moderne, mais s’appuie sur des moyens adaptés à un rapport de forces défavorable (tactiques de guérilla, roquettes, réseaux souterrains, etc.). Pour le Hamas, la dimension militaire est autant un outil de pression qu’un symbole identitaire : elle nourrit la posture de « résistance ».


4) Le tournant politique : élections et division palestinienne

L’un des tournants majeurs survient lorsque le Hamas entre dans l’arène électorale et remporte une victoire importante. Ce moment transforme la nature du mouvement : il n’est plus seulement un acteur de résistance, il devient aussi un acteur institutionnel.

Cependant, cette mutation intervient dans un contexte très polarisé. Les désaccords internes palestiniens se durcissent jusqu’à produire une rupture durable entre deux pôles : d’un côté, l’Autorité palestinienne dominée par le Fatah en Cisjordanie ; de l’autre, un pouvoir distinct à Gaza contrôlé par le Hamas.

Cette division a des conséquences profondes :

  • elle fragmente la représentation politique palestinienne ;

  • elle complique toute stratégie nationale unifiée ;

  • elle favorise une gouvernance séparée entre Gaza et la Cisjordanie ;

  • elle ouvre la voie à des cycles de confrontation politique et parfois sécuritaire entre factions.


5) Gaza : gouverner sous pression permanente

Depuis qu’il contrôle de facto Gaza, le Hamas fait face à une équation presque insoluble : gouverner un territoire densément peuplé, soumis à des restrictions sévères, et régulièrement frappé par des escalades militaires.

Gouverner implique de prendre des décisions impopulaires : collecte de taxes, gestion des ressources rares, maintien de l’ordre, arbitrages budgétaires. Cette situation crée une tension interne : comment maintenir une posture de résistance tout en administrant au quotidien une société en crise ?

De plus, la gouvernance du Hamas est régulièrement contestée :

  • sur le plan politique, par ses adversaires palestiniens ;

  • sur le plan des libertés, par des critiques sur les restrictions, le contrôle social ou l’usage de la force ;

  • sur le plan économique, par une population confrontée au chômage, à la pauvreté et à la dégradation des infrastructures.

En même temps, une partie de la population reconnaît au Hamas une capacité d’organisation, un réseau d’entraide, et une cohérence idéologique qui lui confèrent un certain capital politique.


6) Conflits récurrents : stratégie militaire et conséquences civiles

La trajectoire du Hamas est marquée par des cycles répétés d’escalade avec Israël : affrontements, frappes, trêves, puis reprise des hostilités. Dans cette logique, l’aile armée du Hamas vise à :

  • imposer un coût à l’adversaire,

  • maintenir une capacité de dissuasion,

  • influencer les négociations indirectes,

  • affirmer sa légitimité de résistance.

Mais ces cycles ont des effets humains et matériels très lourds, en particulier à Gaza. Les destructions d’infrastructures, l’effondrement des services essentiels et l’insécurité chronique façonnent le quotidien de la population civile. Cette réalité nourrit un débat permanent : la stratégie du Hamas protège-t-elle Gaza, ou l’expose-t-elle davantage ? Et quelles alternatives existent dans un environnement où le processus politique est bloqué ?


7) Financement, alliances et diplomatie : un jeu d’équilibres

Le Hamas évolue dans un champ régional où les alliances sont mobiles. Ses relations avec certains États ou acteurs varient selon les périodes : rapprochements, tensions, réajustements. Comme beaucoup de mouvements non étatiques, il dépend d’un mélange de sources :

  • soutien extérieur (politique, financier ou logistique),

  • donations et réseaux privés,

  • ressources locales (administration, taxes, économie informelle),

  • aides humanitaires qui transitent par divers canaux.

Cette dimension extérieure est fondamentale : elle peut renforcer le Hamas, mais elle peut aussi le rendre vulnérable aux rapports de force régionaux, aux changements d’agenda des États, et aux pressions diplomatiques.


8) Le Hamas dans le débat international : désignations, image et récits

Le Hamas occupe une place très polarisante dans les perceptions internationales. Dans plusieurs pays, il est désigné comme organisation terroriste, ce qui limite ses marges de manœuvre diplomatiques et financières. Dans d’autres cadres, certains acteurs privilégient une approche plus pragmatique : traiter le Hamas comme une réalité politique incontournable à Gaza, notamment lorsqu’il s’agit de négocier des cessez-le-feu, des échanges de prisonniers ou des mécanismes humanitaires.

Cette ambivalence révèle un paradoxe : on peut refuser la légitimité politique d’un acteur, tout en étant contraint de composer avec lui, parce qu’il contrôle un territoire et dispose d’une capacité de nuisance ou de stabilisation.

Par ailleurs, le Hamas mène aussi une bataille narrative : il se présente comme force de résistance nationale, et met en avant ses actions sociales. Ses opposants le décrivent au contraire comme un acteur qui militarise la société, instrumentalise la population civile et verrouille l’espace public. Ces récits concurrents influencent l’opinion publique, la diplomatie et la manière dont le conflit est compris à l’étranger.


9) Enjeux actuels et perspectives

Aujourd’hui, plusieurs questions structurent l’avenir du Hamas et, plus largement, celui de Gaza et du champ palestinien :

  1. L’unité palestinienne : une réconciliation durable entre factions est-elle possible ? Et sous quelles conditions politiques ?

  2. La gouvernance post-crise : qui administre Gaza, avec quelle légitimité et avec quels moyens ?

  3. La reconstruction : comment reconstruire un territoire où les infrastructures sont fragiles et l’économie largement paralysée ?

  4. La stratégie du Hamas : va-t-il privilégier l’escalade, la trêve longue, ou une combinaison des deux selon le contexte ?

  5. Le cadre diplomatique : un horizon politique crédible existe-t-il, ou la région s’oriente-t-elle vers une gestion permanente de crise ?

Ces enjeux ne dépendent pas uniquement du Hamas. Ils dépendent aussi des politiques israéliennes, des choix de l’Autorité palestinienne, des positions des puissances régionales, et de l’évolution du système international.


Conclusion

Le Hamas est un acteur complexe, façonné par l’histoire de la résistance palestinienne, la crise de la représentation politique, et la réalité particulière de Gaza. Il combine une idéologie, une organisation sociale, une direction politique et une force armée — ce qui lui donne une influence majeure, mais l’expose aussi à des contradictions profondes.

Comprendre le Hamas ne revient pas à l’approuver ni à le condamner automatiquement : cela consiste à analyser les conditions qui ont produit son émergence, les raisons de sa longévité, et les effets de ses choix sur la société palestinienne et sur le conflit. Tant que les causes structurelles du conflit resteront irrésolues, le Hamas — sous une forme ou une autre — restera un élément central de l’équation.

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