Programmation budgétaire triennale et performance des finances publiques (Maroc)

Sif Elarab Ayyoub
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 Programmation budgétaire triennale et performance des finances publiques (Maroc)

Programmation budgétaire triennale et performance des finances publiques (Maroc)

La réforme des finances publiques engagée au Maroc ces dernières années a fait émerger un principe clé : piloter le budget dans une logique de moyen terme, plutôt que de raisonner uniquement « année par année ». C’est précisément l’esprit de la programmation budgétaire triennale (PBT), un dispositif instauré par la Loi organique relative à la loi de finances (LOF). En s’appuyant sur une perspective glissante de trois ans, la PBT permet de mieux relier la stratégie publique aux ressources disponibles, tout en renforçant la gouvernance, la transparence et la performance de l’action publique.

1) Contexte et définition : passer au pilotage sur 3 ans

La PBT est une démarche de programmation « glissante » : chaque année, l’État met à jour une trajectoire budgétaire couvrant l’année à venir + les deux années suivantes. Cette approche place les finances publiques dans un horizon de moyen terme, ce qui améliore la cohérence entre décisions budgétaires, contraintes macroéconomiques et priorités nationales.

Cette réforme s’inscrit dans la modernisation budgétaire marocaine : elle vise à rendre le budget plus lisible, plus prévisible et plus orienté vers les résultats, en s’appuyant sur des outils de gestion par la performance.

2) Les objectifs de la PBT : soutenabilité, responsabilisation, transparence

Le guide de la PBT met en avant trois objectifs majeurs.

a) Assurer la soutenabilité budgétaire

Programmer sur trois ans sert d’abord à garantir la discipline budgétaire : les choix annuels doivent rester compatibles avec les capacités financières de l’État, les équilibres macroéconomiques et la soutenabilité de la dette.
La PBT aide aussi à allouer les ressources selon les priorités, en recherchant un service public de qualité au meilleur coût.

b) Accroître la responsabilisation et la prévisibilité

En donnant de la visibilité aux gestionnaires sur plusieurs années, la PBT facilite un suivi de la performance fondé sur :

  • l’efficacité (atteinte des objectifs),
  • l’efficience (résultats au meilleur coût),
  • la qualité du service rendu.

Elle responsabilise les acteurs publics sur des engagements plus clairs, au-delà du court terme.

c) Améliorer la transparence

La PBT produit des documents budgétaires et de performance qui enrichissent l’information mise à disposition, renforcent le contrôle parlementaire et soutiennent une exigence croissante de redevabilité envers les citoyens.

Au fond, la PBT traduit une évolution structurante : passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, en reliant ressources, objectifs et impacts.

3) Le budget-programme : programmes, actions et responsabilités

Dans le cadre du budget-programme, un programme correspond à un ensemble cohérent de projets/actions portés par un ministère ou une institution, assorti :

  • d’objectifs d’intérêt général,
  • d’indicateurs chiffrés.

Deux types de programmes

  1. Programmes de politiques publiques : ils traduisent les politiques sectorielles et concentrent l’essentiel des moyens destinés à produire des résultats dans un domaine précis.
  2. Programmes de soutien et services polyvalents : ils regroupent les fonctions transversales (RH, informatique, logistique, études, contrôle…). Le principe recommandé est un seul programme de soutien par ministère, pour éviter la dispersion.

Principes de construction

La construction des programmes doit respecter :

  • cohérence et stabilité (architecture durable, alignée sur les missions),
  • exhaustivité (couvrir toutes les activités),
  • clarté de la responsabilité (chaîne de responsabilité identifiable),
  • bonne délimitation du périmètre et gouvernance (responsable de programme clairement désigné).

Projets / actions : un niveau plus fin

À l’intérieur d’un programme, les crédits sont déclinés en projets ou actions : ensembles d’activités définis, visant un public ou un mode d’intervention plus ciblé. Ils doivent rester pérennes et en nombre limité pour préserver la lisibilité budgétaire.

4) PAP et RAP : les deux piliers de la performance

La PBT prend tout son sens lorsqu’elle s’accompagne d’outils de performance.

Le Projet Annuel de Performance (PAP)

Le PAP est le document de planification qui :

  • rappelle le contexte et les objectifs stratégiques,
  • présente les indicateurs de performance,
  • fixe des cibles sur trois ans,
  • ventile l’ensemble des crédits par programme.

C’est un document annuel, mais construit dans une logique pluriannuelle : il formalise les engagements de résultats du responsable de programme et structure le dialogue de gestion.

Le Rapport Annuel de Performance (RAP)

Le RAP est le document de reddition des comptes. Il :

  • compare les résultats obtenus aux objectifs,
  • analyse les écarts et leurs causes,
  • rend compte des actions réalisées et des moyens utilisés,
  • reprend le même format et les mêmes indicateurs que le PAP.

Le RAP nourrit l’évaluation de l’action publique et éclaire les arbitrages budgétaires futurs.

5) Le cycle de performance : de la stratégie à l’évaluation

La gestion orientée performance suit un cycle structuré :

  1. Planification stratégique : définition des priorités nationales/sectorielles.
  2. Programmation pluriannuelle (PBT) : enveloppes sur trois ans selon des hypothèses réalistes.
  3. Budgétisation annuelle : déclinaison dans la loi de finances + préparation du PAP.
  4. Exécution et suivi : pilotage opérationnel, dialogue de gestion, ajustements.
  5. Évaluation et reddition : RAP, audits, évaluations, décisions correctrices.

Ce cycle installe une dynamique d’apprentissage et d’amélioration continue, à condition de disposer d’indicateurs pertinents, de systèmes d’information fiables et d’une responsabilisation réelle.

6) Comment la PBT améliore la performance des finances publiques

La contribution de la programmation triennale à la performance se manifeste à plusieurs niveaux.

  • Alignement des ressources sur les priorités : en obligeant à programmer et à justifier les dépenses sur trois ans, la PBT réduit les allocations opportunistes et renforce la cohérence stratégique.
  • Discipline et soutenabilité : elle facilite le respect des plafonds de dépenses et améliore la visibilité, notamment pour les investissements qui s’étalent sur plusieurs exercices.
  • Responsabilisation des gestionnaires : avec des objectifs, des indicateurs et un responsable de programme, la gestion s’oriente vers l’efficience et les résultats.
  • Transparence et redevabilité : les documents (programmation, PAP, RAP) donnent une lecture plus claire des moyens mobilisés et des résultats atteints.
  • Coopération entre acteurs : la démarche impose un dialogue structuré entre ministères sectoriels, ministère des finances et organes de contrôle, renforçant progressivement la culture du résultat.

Conclusion

La programmation budgétaire triennale, appuyée par une architecture de programmes claire et par les outils PAP/RAP, marque un tournant vers une gestion publique davantage axée sur les résultats. Elle renforce la soutenabilité des finances publiques, rationalise l’allocation des ressources et améliore la transparence.

Bien sûr, sa réussite dépend de conditions concrètes : qualité des indicateurs, coordination entre acteurs, stabilité de la nomenclature budgétaire, et montée en compétence des gestionnaires. Mais, bien conduite, la PBT devient un véritable levier pour moderniser l’action publique et répondre à l’exigence citoyenne d’efficacité et de qualité des services.

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